S.till doll*] { Kiwoo }

Un courant d’air vint gifler la jeune fille, alors que ses cheveux voletaient avec grâce autour de son visage fin, la nimbant d’une aura de sauvagerie. Sous ses pieds nus, la falaise était agréablement froide, apaisant sa peau brûlante. Elle se sentait confuse, comme à chaque fois où, persuadée d’avoir besoin d’un peu de solitude, elle s’éloignait. La proximité était parfois écrasante dans la meute, bien qu’également réconfortante. Jill ne parvenait même plus à savoir si elle désirait rester seule ou s’entourer de ses frères et sœurs de meute.
Son esprit ne lui était même plus utile pour s’abriter loin des regards puisqu’elle partageait ses pensées avec chacun des loups. Parfois elle se sentait écrasée par ce manque d’intimité. Elle ne trouvait même plus de soulagement à se confier à sa sœur jumelle puisque celle-ci savait parfaitement ce qu’elle ressentait. Jill était avide de vengeance, et ce sentiment la transformait peu à peu en un animal fuyant les autres et leurs bras dégoulinants d’amour. Si elle avait toujours été un peu timide, rêveuse, son caractère lui offrait également une grande impulsivité, ainsi qu’un certain don pour les répliques acidulées. Loin d’être prévisible, sa sœur jumelle prévoyait pourtant facilement ses réactions. Depuis la mort de son frère, sa légendaire douceur et sa sensibilité s’étaient atténuées. Elle était alpha, et désormais il lui fallait être fort pour venger Aaron et protéger sa sœur. Elle aurait pu mourir pour protéger ceux qu’elle aimait. Dire qu’elle n’avait jamais peur était faux. Elle s’effrayait de beaucoup de choses, bien que sa condition d’animal l’aida à ne pas craindre le noir ni les prédateurs.
Mais elle était loin d’être une couarde. Imprudente, elle affrontait ses peurs sans parler, et savait tirer des leçons de ses erreurs. Mais son coté froid, agressif, insolent, s’était accentué. Elle utilisait comme protection son ironie et ses sarcasmes venimeux. Une rafale de vent lui projeta à la figure des gouttelettes salées, jumelles de celle qui roulait sur sa joue pâle.

Puis, sans même hésiter, elle s’avança d’un pas, ses pieds s’agrippant au rebord escarpé de la falaise. Etendant les bras comme un oiseau sur le point de s’envoler, elle fléchit les jambes. Le vent claqua, soulevant sa robe bleu nuit. Et brusquement, elle plongea. Dans le vide.
La chute fut brève mais euphorisante. Autour d’elle, l’air semblait se fendre, la retenant un peu plus avant qu’elle n’heurte l’eau. Le choc fut rude, mais elle fendit la surface transparente pour s’enfoncer dans le tumulte des éléments. Là, ballotée par les courants, elle ferma les yeux. Tout serait si simple si elle se laissait couler, là, dans la douce étreinte de la mer…
Brusquement, elle sortit de sa torpeur et s’éleva vers la surface. L’étoffe lourde de son vêtement semblait la tirer vers le fond mais son incroyable force l’aida rapidement à s’en sortir. Dégoulinante, mais curieusement calme, vidée, elle aperçut une silhouette sur les rochers. Se hissant hors de l’eau, elle se dirigea en titubant vers la jeune fille, et en la reconnaissant, l’interpella.

- Hey, Salut.

« Salut »

« Joli plongeon. »

Jill dévisagea la jeune fille. Bien entendu, elle la connaissait. En tant qu’Alpha, et malgré son apparent caractère froid, elle s’intéressait à la vie des autres loups. Des autres maudits, lui soufflait son esprit. Et celle-ci, au lieu de rejeter sa condition sur le dos des vampires, se contentaient de agir ceux qui, comme elle, souffraient de leurs transformations. C’était stupide, mais au fond personne ne réagissait de la même façon. Alors, sans rien dire, Jill vint s’asseoir près de sa sœur de meute. Fixant elle aussi son regard sur l’horizon, la jeune louve poussa un léger soupir.

« Merci »murmura elle à mi-voix.

Puis, elle entoura à son tour ses genoux de ses bras, posant résolument son menton sur l’étoffe mouillée qui recouvrait ses jambes comme une seconde peau. Ses grands yeux tristes s’étaient posés sur l’horizon, et déjà elle ne cillait plus, sa respiration calme se mêlant au souffle du vent. Un léger frisson parcourut son échine. Louve ou pas, son corps restait celui d’un presque humain, et elle n’était pas à l’abri des maladies. Se maudissant de ne pas avoir pris des vêtements secs, bien qu’elle n’ait d’abord pas eu l’intention de sauter, elle leva les yeux vers le soleil qui brillait au loin, avant de rouvrir la bouche.

« Lorsque je chute, j’ai l’impression que tout ce qui m’emprisonne disparaît. Que je suis enfin libre. Jusqu’à ce que l’eau me rattrape. Tu sais ce que cela fait non, de se sentir enchaîné ?»

Elle se sentait incomprise. C’était terriblement égoïste. Car elle ne voulait pas l’être.
Jill n’était plus douce qu’avec sa sœur, celle qui comprenait réellement ce qu’elle ressentait.
Et si elle se montrait plutôt cordiale avec ceux de sa meute, elle était encore bien froide avec le monde. Quelque chose dévorait son bon cœur qui, malgré sa tendance à rapidement s’emporter, son air parfois méprisant, et ses mauvais coté, avait toujours été là. Mais la souffrance l’empêchait de s’offrir aux autres. Elle souhaitait qu’on la laisse se relever, si par miracle elle s’en sentait un jour capable. Mais ceux qui croyaient parfois lui tendre un bras secourable ne faisait que la faire tituber un peu plus, approfondissant son tourment.

« Il me semble connaître cette sensation »

Supérieur.

La jeune fille s'étira, avant de placer ses bras derrière elle, étendant ses longues jambes. Le froid la pénétra dès qu'elle quitta sa position recroquevillée, brûlant ses membres, noyant ses poumons sous un feu étrange. Mais elle n'y fit pas attention. Elle était une louve, solide, forte, et bien moins sensible au froid hivernal que les autres. Ses pieds nus n'étaient pas gelés comme ils auraient du l'être, et elle n'avait pas les lèvres bleues. Elle se contentait de frissonner sous l'assaut du vent glacé. Rejetant la tête en arrière, Jill se perdit dans la contemplation du ciel. L'hiver avait donné aux nuages des teintes grisâtres, si tristes qu'elle eut l'impression d'observer sa propre âme.
Sans jeter un regard à l'adolescente assise à ses cotés, elle resta silencieuse un instant, oubliant un instant les chaines qui blessaient son corps de jeune femme. Autrefois elle avait été heureuse d'être louve. L'impression furtive d'être différente des autres lui avait procuré un grand bonheur. Un peu de magie s'était glissé dans son monde, l'éclairant différemment. Puis la mort, le sang et la réalité qui la rattrapait. De nouveau, tomber de son petit monde, dégringoler du ciel, et comprendre à quel point la réalité est dure lorsqu'on la heurte de plein fouet. Désormais elle étouffait, comme bloquée entre deux murs qui se rapprochaient inexorablement, l'entrainant vers une mort atroce, asphyxie, os brisés comme son cœur l'était.

« You hate everything about me, why do you love me ? »

Les mots étaient sortis de sa bouche, serpentant entre ses lèvres roses. Une légère mélodie, abreuvant son âme par sa véracité. Jill connaissait cette chanson pour l'avoir entendue récemment, et curieusement, les mots étaient restés à jamais inscrits dans son esprit.
Ils représentaient ses pensées, ses doutes, ses peines. Ce qu'une ombre, une nuit parmi tant d'autres, avaient pu lui faire ressentir. Ce qu'elle s'était à jamais interdit. Caressant ses lèvres, L'alpha tourna alors la tête vers Lily. Cette dernière ne la regardait pas, mais elle s'en fichait royalement. Tout ce qui comptait, c'était que cette louve était de sa meute. Elle était comme une petite soeur dont Jill serait responsable, bon gré mal gré.

« Est ce que tu souffres réellement de ta condition Lily ? »

Etait ce là une phrase regorgeant de sous entendus moralisateurs ? Pas du tout. La jeune fille n'aimait pas montrer du doigt les erreurs de chacun. Elle préférait les laisser se perdre dans le noir, jusqu'au jour où d'eux mêmes il apprendraient à retrouver le chemin de la lumière. Et de la vérité. Non, Jill s'inquiétait, tout simplement. Elle avait toujours espéré être la seule à souffrir de ce qu'elle était devenue, par la mort de ses proches. Un instant, elle crut se revoir ce jour gris, à l'ombre du levant, alors que de ses crocs elle avait cisaillé le fil de la vie de son amant. Le sang qui avait maculé ses vêtements qu'elle avait du abandonner. Et la souffrance qui martelait son coeur depuis. Meurtrière, meurtrière. Elle croyait presque entendre la voix enfantine lui crier ces mots, ces reproches. Le désespoir la fit fermer étroitement les yeux. Jamais elle n'oublierait, elle l'avait affirmé. Là était sa punition, se complaire dans la peine que lui offrait le passé.

- Je ne pense pas que le verbe "souffrir" soit vraiment approprié. Je n'aime pas ce que je suis, une louve. Je n'aime pas ne rien pouvoir cacher aux autres lorsque je suis transformée. Je n'aime pas non plus mon apparence, et ce que je suis capable de faire. J'ai aussi peur, car cette vérité m'a obligé à quitter les bras rassurant de l'ignorance. J'aurai préféré rester une ado normale, loin de ces problèmes que je ne comprends pas vraiment, de cette haine réciproque que loups et vampires entretiennent. Parce qu'en fait, je ne me sens pas concernée. Je sais bien que nous avons nos raisons, qu'ils l'ont bien cherché. Et rien que par solidarité, je ne peux pas rester indifférente. Seulement voilà, moi personnellement, je n'ai rien contre eux. Et si mon instinct me pousse à les haïr, à soutenir la cause des loups, je persiste à vouloir échapper à ma nature, quelles qu'en soient les conséquences.

- Alors non, je ne souffre pas. Je ne suis pas heureuse, certes, mais si il existe bien une douleur, elle n'est pas assez forte pour que je puisse la qualifier de souffrance.